On les appelle « dev1ce », « Magisk », « gla1ve », « Xyp9x » et « dupreeh ». Leur nom d’équipe ? Entre deux clapping, le public le scande sans cesse depuis le dernier kill de la partie, synonyme de nouveau titre pour l’un des favoris de la semaine. Le dimanche 22 avril à 19h, Astralis, structure e-sport danoise, vient de remporter la CORSAIR Dreamhack Masters sur CounterStrike : Global Offensive, compétition internationale dont Marseille fut le théâtre.
C’était d’ailleurs un événement inédit pour la cité phocéenne, choisie au détriment de Las Vegas et de Rio pour accueillir l’une des plus grandes compétitions CounterStrike de la saison. Elles étaient 16 équipes, toutes plus connues et reconnues les unes que les autres, à avoir posé leur valise dans le Sud de la France pour en découdre pendant ces 5 jours d’affrontements de haut niveau. Les phases de poules ayant eu lieu du mercredi au vendredi, le clou du spectacle avait bien lieu le week-end, devant un public enthousiaste. Et l’enjeu était loin d’être négligeable : un cashprize total de 250,000 $ (!)
Pour quel engouement ? Ils étaient près de 3000 spectateurs à avoir leur billet pour assister à ce spectacle inhabituel dans ce lieu, dont le planning prévoit généralement des concerts d’artistes plus ou moins notoires. Durant ces 5jours, le Dôme de Marseille a sûrement pris un coup de jeune, avec une population majoritairement millennial. Et si le monde de l’e-sport qualifie souvent le public français de très bouillant, il suffisait de venir assister à une confrontation la journée du dimanche pour s’en rendre véritablement compte.
Clapping, chants, encouragements… L’esprit du Vélodrome planait au-dessus du Dôme et l’atmosphère des matchs de l’OM contre Leipzig et Salzbourg se faisait également ressentir pour des jeunes s’affrontant par écrans interposés. Et ce malgré l’élimination précoce des deux seules équipes françaises, G2 Esports et Envy Us. Preuve que la France reste un terrain propice à l’accueil de tels événements, même en-dehors de sa capitale.
Il faut dire que tous les éléments, ou presque, étaient réunis pour placer le fan dans son élément et le faire profiter au maximum de cette expérience. Une salle de spectacle, certes moins grande qu’un Zénith de Paris (*à guichets fermés à l’occasion des All Stars 2014 de League of Legends), mais capable d’accueillir un public de près de 3000 passionnés, et surtout, une scène taille XXL permettant de mettre les joueurs dans des conditions idéales et de projeter sur des écrans bien plus grands que ceux du cinéma du coin toutes les actions du jeu vidéo, les statistiques individuelles, la mini map et les célébrations des joueurs, concentrés, qui ne laissaient éclater leur joie qu’une fois la partie terminée.
Et entre deux games, si les spectateurs avaient le choix pour se nourrir et s’abreuver, les équipes tour à tour s’adonnaient à des séances de selfies et de dédicaces, un présentateur fou distribuait des goodies, un sportif faisait son show de BMX, et les exposants vendaient leurs matériels informatiques et leurs produits dérivés, ou même proposaient des animations, à l’image de Gaming Gen, association organisatrice d’événements gaming basée à Gardanne.
Une vraie réussite au final qui inspire pour l’avenir. Et ce ne sont pas les millions de téléspectateurs sur Twitch qui diront le contraire, faisant par ailleurs du jeu l’un des plus suivis sur la célèbre plateforme durant la semaine (8,7 millions d’heures vues dont 6,3 millions pour la Dreamhack) selon The Esports Observer. Le spectacle était au rendez-vous, en tribunes comme sur la toile, et ce n’est pas près de s’arrêter à écouter Jean-Christophe Arnaud, président de la Dreamhack France, qui a accepté une interview exclusive !
Interview de Jean-Christophe Arnaud Président de la DreamHack France
Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer comment vous en êtes arrivé à présider la filiale française de la Dreamhack ?
J’ai travaillé dix ans à l’ESL (*Electronic Sports League, gérée par la société est Turtle Entertainment) avant de me lancer dans l’aventure de la Dreamhack en 2013. Il a fallu environ un an et demi pour mettre sur pied la Dreamhack Tours en 2015. On travaillait alors en co-production avec la ville de Tours jusqu’en 2017. Et puis, fin d’année 2017, on a créé Dreamhack France SAS, filiale du groupe Dreamhack AB, que je préside depuis pour gérer l’activité sur le territoire français.
Concernant le choix de la ville hôte de ces Masters 2018, quels éléments ont fait pencher la balance en faveur de Marseille plutôt que Las Vegas et Rio, dont le rayonnement international est sûrement plus grand et l’expérience en termes d’accueil de ce type d’événement est reconnu ?
C’est avant tout une histoire de marché. On est intéressé par des marchés porteurs, et en Europe il faut dire que la France est l’un des plus gros. En l’occurrence pour les Masters, on a réussi à remplir toutes les conditions nécessaires. Que ce soit l’accueil de la ville et de la métropole de Marseille, tout ce qu’ils ont pu faire pour nous, le public et la communauté française aussi et surtout, qui est toujours présent à nos événements. Ce sont en partie ces facteurs qui font que c’était plus intéressant d’organiser l’événement ici plutôt qu’à Las Vegas par exemple qui accueille déjà suffisamment d’événements, impose plus de contraintes et où l’intérêt est moindre.
Parlons chiffres. Comment se finance un événement comme la Dreamhack Masters à Marseille ?
Sans rentrer dans les détails, nous recevons déjà le soutien de nos partenaires principaux, présents sur les deux événements (*les Masters ont lieu deux fois par an, le second événement ayant lieu à Stockholm du 29 août au 2 septembre). Tout d’abord, CORSAIR, qui est détenteur du naming des événements, on devrait d’ailleurs toujours parler des « CORSAIR Dreamhack Masters », mais aussi Monster Energy, qui nous fournissent donc une grosse partie du soutien financier. On a aussi évidemment Twitch, la plateforme de streaming, grâce à l’audience qu’on va générer. Et enfin en local, sur le lieu même, avec la ville qui nous offre des aides, mais aussi les exposants qui sont des acteurs locaux, et qui profitent aussi de l’événement pour gagner en visibilité auprès des spectateurs.
Bien que l’événement ne soit pas encore terminé, pouvez-vous déjà affirmer que Marseille est un lieu idéal ou du moins capable d’accueillir des événements e-sport à l’échelle de la Dreamhack ? Finalement, est-ce un terrain propice pour le développement de l’e-sport ?
Déjà, le lieu en lui-même est parfait : au Dôme de Marseille, il y a suffisamment de place, la salle est grande et adaptée, les gradins sont bien installés, tout fonctionne à merveille. Après, en tant que terre d’accueil, je la trouve également très bien aussi. Nous avons eu ici pendant un temps la structure Millenium qui a fait ses débuts, il y a d’autres acteurs qui souhaitent y revenir, et il y a des projets qui commencent à naître et se développer. J’ai entendu parler d’une arena, d’un centre de formation,… il y a plein de choses qui sont en train de se préparer sur Marseille (*fait que nous avons pu vérifier lors de la soirée privée NeedForSeat organisée par MonClub Esport le mardi 17 avril en présence de G2 Esports). Parce que ça reste quand même la deuxième ville de France, tout ne se passe pas à Paris, la preuve étant que nous-mêmes n’y sommes pas implantés. Tout cela fait que c’est une destination de choix dans ce domaine.
S’il y avait des choix, des éléments à changer, à corriger en termes d’organisation par exemple, que feriez-vous ?
Non globalement tout s’est bien passé. Je reviens justement d’un point avec mes homologues suédois qui me disaient être très satisfaits de toute l’organisation, mais aussi et surtout de l’audience. En premier lieu, l’audience Twitch, car avant même les phases finales, le nombre de viewers est très bon sur les territoires qui nous intéressent, c’est-à-dire les Etats-Unis, la Russie, la Pologne, la France et l’Allemagne. Et le public également sur place réagit très bien, notamment dès l’instant où c’est commenté en Français. Ce qui joue donc un rôle majeur dans l’ambiance général de l’événement.
Quels sont selon vous les prochains grands chantiers de la Dreamhack ? Et ceux de l’e-sport ?
On a commencé avec la Dreamhack il y a déjà un an et demi à toucher d’autres territoires, avec les Etats-Unis, Denver, Austin, Las Vegas, et même le Canada avec Montréal. On va également peut-être investir d’autres continents, à voir, cela n’a en tout cas pas encore été annoncé. On a 10 dates dans l’année, c’est difficile d’en faire beaucoup plus, les équipes ne sont pas démultipliables à l’infini et les plannings sont déjà bien chargés, puisqu’on a aussi nos concurrents qui font leurs propres événements.
Pour l’e-sport, selon moi le prochain grand chantier serait une fédération. C’est quelque chose dont tout le monde parle et même s’il y en a déjà une. On en veut une qui ne soit pas reconnue seulement par quelques gouvernements, mais par tous les pays. C’est ce que souhaite le CIO pour les Jeux Olympiques. On y travaille et c’est un sujet qui avance bien.
Sujet de prédilection pour notre audience : sport et e-sport sont-ils compatibles ? Si oui, comment cohabiter et trouver des synergies ?
Il y a énormément de points communs, que ce soit l’esprit d’équipe, la volonté de se dépasser, la compétitivité, l’audience, les entraînements. Mais comme le disait Richard « shox » Papillon, ce sont deux choses bien différentes et qui ne devraient pas être comparées. Il y a un débat qui s’installe, à savoir si l’e-sport est un sport, certains disent que oui, d’autres ne veulent pas être mélangés à ce domaine. Et il est vrai que même d’un point de vue légal et marketing, ce qui marque une vraie différence, c’est la présence des ayant droits. C’est-à-dire que l’e-sport ce n’est pas forcément un jeu, mais plusieurs jeux, sachant que tous les jeux vidéo ne peuvent pas intégrer le monde de l’e-sport, après lesquels ? Et ensuite, ces jeux appartiennent à quelqu’un, donc si lui-même décide que ça se passe comme ça et pas autrement, il en a le pouvoir total. Le football par exemple, en soi, il n’appartient à personne, même si tu as des fédérations et des droits sur les événements, le sport en lui-même n’est le produit de personne.
Ce genre d’organisation ne vient-elle pas bloquer le développement de l’e-sport comme on le souhaiterait, comme la création d’une fédération comme vous évoquiez ?
Non car la fédération arrivera à légiférer en accord avec les éditeurs de jeux vidéo. C’est ce que l’on a posé comme base avec l’association France eSports, c’est dans ce sens-là que nous souhaitons avancer de manière intelligente, tous ensemble vers un même but commun qui servira les intérêts de tout le monde.
Notre blog s’appelle Champions du Digital, comment définiriez-vous un champion dans l’e-sport ?
Je les ai vu les champions et ils ont vraiment changé. Pour moi, les champions ce n’est pas simplement les joueurs, ce sont aussi les gens qui ont réussi à créer des événements, à monter des structures, tous ceux qui ont commencé il y a longtemps, quand l’e-sport n’était pas encore ce qu’il est actuellement, et qui en voient les fruits aujourd’hui.
Comme nous on a pu faire avec la Dreamhack France, à présent on a des audiences, des agences, des médias même qui viennent nous voir car la cible des millennials est très difficile à toucher. Elle n’est pas fidèle, elle utilise de nouveaux moyens de communication, donc ils ont besoin de conseils. Ces personnes qui ont réussi à faire de l’e-sport un succès, et qui sont à présent les experts en la matière, sont aujourd’hui les vrais champions.
Diplômé du MSc International Sport & Event Management de Kedge Business School, Vincent Laurent est impliqué dans l’e-sport au niveau associatif depuis 5 ans, après notamment avoir occupé les fonctions de secrétaire général et responsable développement international du Student Gaming Network. Aujourd’hui chef de produit des collections sport de Panini France, il mène en parallèle des missions de consulting auprès d’acteurs souhaitant intégrer ou se renforcer dans le milieu de l’esport.